un peu de lumière, que diable!
Enfin un petit peu d'archi dans ce monde de sportifs.
L'architecture est un artisanat plutôt noble quand il s'agît du
quotidien, de donner refuge aux activités humaines telles que sommeil,
travail, boustifaille. Mais il y a aussi ce qu'on appelle les
"oeuvres". Il s'agît plus de monuments, et finalement de symboles. Le
mode de conception d'un tel bâtiment fait beaucoup appel à l'histoire,
à la philosophie, à la poésie, au respect, à l'ambition humaniste, ce
qui explique en partie pourquoi peu d'architectes parviennent à se
révéler dans cette "haute" discipline. Durant toute une époque (de
l'antiquité à celle dîtes des "Beaux-Arts") les architectes étaient
formés uniquement au monumental. L'architecture quotidienne étant
laissée, sinon aux maîtres d'ouvrages eux-mêmes, aux entrepreneurs.
C'est encore d'ailleurs beaucoup le cas pour la maison particulière en
occident. Peut être est-ce cette formation monumentaliste et utopiste
de l'architecture qui mena les hommes de l'art à construire, quand pour
la presque première fois après la guerre on leur demanda de tout
refaire, du monumental pour le logement. Les théoriciens (le Corbusier
en tête), qui adjoignaient un idéal à leurs révolutions, n'étant que
peu suivis par les praticiens, qui mirent tout le bon coeur du monde à
imaginer et construire les "cités" d'aujourd'hui. Le monumental ne
convient pas au quotidien, il rend l'homme fou. On le saura.
Il y a donc deux architectures, j'en suis convaincu. Et si elles sont
intimement liées, si même la frontière qui les sépare est floue, la
méthodologie est foncièrement différente. Les expériences du XXe siècle
en logement (HBM avant guerre, HLM après) qui tendirent à projeter le
logement autour d'une idée politique, philosophique ou sociale et non
humaniste, n'ont cependant pas que du mauvais. C'est une expérience (en
grande partie abandonnée aujourd'hui, dans cette forme en tous les cas,
dans nos sociétés) qui a montré que les deux architectures étaient
différentes mais pas incompatibles, et que l'une et l'autre avaient
beaucoup à s'apporter.
Je dirais que l'architecture des monuments et des symboles parle d'autre
chose, elle accompli les rêves, elle devient icône d'une idée, d'une
religion, c'est dans tout ça que l'homme se dépasse. Le premier
architecte nommé et connu est Imothep, qui construisît les grandes
pyramides du plateau de Gizeh en Egypte. C'étaient les premiers
monuments, ils exprimaient autre chose que leur propre fonction.
Pourtant simple tombeau, la pyramide disait tout le divin du
Pharaon, par sa taille, par sa forme, par son lien au ciel entre
autres. Après les temples de l'antiquité, Athène invente la république,
et les monuments qui vont avec. Rome, le Colisée et les aqueducs, le
monde chrétien les cathédrales, la renaissance les grands palais. La
révolution industrielle en Europe devient le théâtre de "combats
d'architecture" dans les expositions universelles, à coups de Grande
Galerie de Machines, de Crystal Palace, et enfin de Tour Eiffel. Tout
montre là qu'après la religion et la monarchie, le monde occidental se
tourne vers l'industrie. Hitler, Staline et les autres affirment leur
puissance et leurs régimes par des projets colossaux de villes
entières, monumentales s'il en est. Et si aujourd'hui les tours les plus hautes, en verre et en acier, érigent vers le ciel toute la puissance des hommes, c'est qu'elles représentent toute l'idéologie capitaliste de notre époque. Ces bâtiments sont rares, j'en convient, et il n'est pas donné à tout architecte dans sa vie de concevoir un symbole (encore faut il symboliser son propre idéal et pas forcément faire de propagande). Mais toute l'intelligence, la prospective, la poésie (repensez aux cathédrales, ou aux petites églises romanes qui en sont les précurseurs) mises dans de tels projets pointe son nez, ici ou là, ces derniers temps, dans l'architecture "quotidienne". Et l'on se met pour une simple maison, et sans vouloir en faire une icône devant le monde, à réfléchir vraiment, à chercher ce petit quelque chose de magique et saisissant qui participe à la poésie du monde. L'homme est évidemment là pour vivre, survivre et se reproduire, comme les autres animaux, mais ce qui fait l'amour et la confiance qu'on peut porter en l'humanité se trouve dans la sublimation de ses idéaux. Il s'agît alors de faire sienne cette ambition éternelle, et de tenter toujours de lui donner vie.
Ce matin, traversant la campagne pour aller travailler, j'ai vu les landes blondir sous un soleil rasant, plus lumineuses que du blanc, j'ai écouté et vécu le Miserere de Allegri, et je me suis dit qu'au delà des métros qui sautent et des dirigeants qui causent, au delà des enjeux de l'argent des jeux, au delà du FN et de la souffrance, au delà du pétrole et du fric dictateur, l'Homme était capable de moments de beauté incroyables; et que c'est peut être vers là qu'il fallait essayer d'aller.