Grigory
Une cigarette entre les doigts, fumée dans la gorge, les cheveux un peu mouillés, l'écharpe bien serrée, le col de mon manteau remonté, debout sans bouger, il fait nuit, j'attends quelqu'un.
Les lumières de Noël sont allumées, les candélabres de la place sont allumés, les lumières du foyer de l'Opéra sont allumées. Tout est noir avec des éclats et des reflets d'or, brillant par la pluie.
J'entends la sonnerie au loin, le concert va commencer. Arrivée de ma petite famille en marchant vite, souriants. Ils distribuent les billets, on entre, plein de monde, du troisième âge bien habillé au 20 ans opéra/découverte. Pair ou impair? Pair, escalier de gauche, premier étage, pas très bien placés mais c'est pas grave, l'entrée dans la salle de l'Opéra est rapide et magnifique, on quitte l'agitation de la foule pour s'asseoir dans une grande salle, au faste reposant, rassurant.
La lumière s'éteint vite, je bourre mon manteau sous mon siège, éteint mon téléphone. Le grand piano, Steinway & sons, trône au milieu de la scène, seul, mais tendu, nerveux, prêt à tout donner dès qu'arrivera le matador.
Grigory entre en scène, dépose ses grosses mains potelées sur le clavier, et ouvre une porte vers un monde inexploré. Deux sonates rayonnantes, du très fort très violent, qui le fait sauter de son tabouret et fait vibrer le grand piano, à la douceur infinie d'un mouvement lent où chaque note égrainée est un baiser sur le coeur.
Il a fait six rappels, je n'avais jamais vu ça.
Ce type de 55 ans est venu de Russie pour nous faire ça, pour nous jouer ça, à nous. Merci.